Lobbying et communication d’influence - utilisation de médias et autres moyens de communication

Introduction

            Il est clair que le domaine de la communication publique, en tant que volet des sciences humaines et sociales, a évolué dans des contextes sociopolitiques et socioéconomiques bien définis des sociétés du  monde, ce qui a permis l’apparition d’un certain nombre de pratiques et techniques ayant comme but principal soit de défendre des intérêts définis, soit de donner une image favorable à des individus ou à des organismes dans le but d’acquérir une confiance chez le récepteur. Ces techniques ont fait et continuent à faire l’objet de plusieurs recherches, comme on le constate dans PNCP [1]
            Nous allons aussi jusqu’à constater que les affaires publiques s’organisent en mettant l’emphase sur des enjeux qui relèvent de différents niveaux d’application de la communication publique, de différents milieux et contextes, en témoignent la communication sociétale (Macro-niveau) et la communication organisationnelle (Méso). Ainsi, les trois métiers principaux de la communication publique, à savoir, le journalisme, les relations publiques et la publicité, qui servent d’interface entre les différents acteurs qui interagissent dans l’espace public, ont fait que les techniques d’influence soient pratiquées via différents moyens et médias que nous allons voir au fur et à mesure en faisant référence à des actions de quelques organismes qui œuvrent dans le même domaine au Québec.
            Le chercheur et philosophe américain Kenneth BOUDLING[2] a enrichi  le champ de la recherche dans le domaine de la gestion des affaires publiques par sa théorie qui consiste à représenter la société sous forme de triangle où les principaux acteurs se trouvent obligés de communiquer et échanger à propos des sujets qui intéressent le public et la communauté. Cette interaction, dans un territoire public, constitue un espace d’information et de débat pour tous.
            Le triangle de Boudling est très représentatif dans la mesure où il présente les rôles des différents acteurs dans le jeu de communication publique. D’abord l’acteur du pouvoir qui dispose de la coercition  et de la force pour pousser à obéir aux lois établies. Il est ainsi composé des trois autorités principales et qui sont respectivement : l’autorité exécutive, l’autorité législative et l’autorité judiciaire. Ensuite l’acteur économique qui dispose des règles du marché et ne cherche qu’à générer de l’argent, en s’imposant via différentes manières pour défendre ses intérêts. Enfin l’acteur social, constitué des individus et groupes organisés dont la solidarité demeure la force pour défendre le bien-être social.
            Edwin BAKER,[3] de son côté, intervient pour illustrer ce jeu de communication publique et ce en distinguant entre quatre formes de démocraties. Premièrement la démocratie élitiste dont l’exercice du pouvoir est une affaire des spécialistes et non pas l’affaire de tous, ce qui fait que les médias deviennent partenaires principaux dans le jeu de communication sur le terrain public et consacrent plus d’attention aux stars politiques. Deuxièmement la démocratie républicaine où prime le Bien général de la nation avant toute autre chose. Les médias dans ce cas subissent une influence de l’équipe qui détient le pouvoir et sont dirigés et intégrés dans les enjeux pour servir le principe sur lequel est basée la démocratie. Troisièmement la démocratie pluraliste libérale qui favorise les débats et met en commun les intérêts de tous les fragments de la société dans un espace beaucoup plus large. Finalement la démocratie complexe qui combine les deux démocraties : républicaine et pluraliste libérale pré -citées.
            Gérer les relations dans un environnement sociopolitique, veut dire gérer des enjeux qui se posent dans la sphère sociale. L’aspect du lobbying apparaît lorsque la gestion se fait avec la sphère politique. C’est donc un jeu de communication qui vise à influencer pour défendre des intérêts et atteindre des objectifs, un ensemble d’influences exercées pour obtenir des accords et des contrats.
            Les lobbyistes sont nécessairement des individus issus des acteurs économiques  qui occupent de nouvelles fonctions telles que : responsable des affaires publiques, responsable des affaires externes, etc. au sein des entreprises ou dans des organisations à vocation lobbyiste (syndicat, ONG, etc.). Ce sont forcément des anciens individus ayant exercé dans le champ de la politique où au niveau du pouvoir. Ce  qui leur donne la force de  pouvoir influencer les lois qui menacent les intérêts communs ou ceux de leurs entreprises. La légalité et la légitimité de cette pratique lobbyiste diffère selon les contextes économiques et sociopolitiques dans chaque pays du monde.
            Comment est pratiqué le lobbying? Quels sont les multiples techniques et moyens utilisés par les lobbyistes? Et quel est le rôle des médias dans ce jeu de communication d’influence?
            Pour répondre à ces questions, j’ai essayé de présenter deux études de cas relatifs à deux organismes non gouvernementaux et qui sont respectivement l’association « Oxfam Québec»[4] et l’« ADFM » (Association démocratique des femmes du Maroc »[5].










A- L’association « Oxfam Québec »
            Oxfam Québec est défini comme étant un organisme à but non lucratif qui œuvre  principalement dans le domaine de développement durable. Sa mission principale est de combattre la pauvreté et contribuer par différents moyens et actions menées à la réduction des inégalités entre les individus à la fois à l’échelle nationale et  internationale.
            Depuis sa création jusqu’à nos jours, nous remarquons que l’association « Oxfam » a pu maintenir sa force en tant qu’organisme qui vise à sensibiliser le grand public et  à intervenir via différents enjeux mis sur la place publique pour influencer les décideurs au pouvoir afin de changer ou d’instaurer de nouvelles lois visant le bien commun.
            L’historique de cet organisme, nous permet de constater que les différents plans d’action lancés ainsi que les stratégies de communication adoptées à travers des décennies, ont été à la base d’une telle réussite à accomplir des réalisations importantes.
            En effet, le contexte historique de sa création remonte à 1942, période de la deuxième guerre mondiale, qui a détruit le monde par l’utilisation des armes atomiques[6], nucléaires et autres contre les civiles. Ceci a agité la réaction d’un groupe d’universitaires pour « venir en aide aux victimes civiles de la Seconde Guerre Mondiale en Grèce »[7] et  à inaugurer le « Oxford Committee for Famine Relief ».
            Plus tard et juste après la guerre, pendant les années cinquante, le comité en question se fixe une nouvelle stratégie de communication d’influence pour défendre la même cause cette fois-ci sous un nouvel angle : « Soulager les souffrances résultant de guerres ou de crises humanitaires dans le monde et appuyer les plus démunis des pays pauvres dans leurs efforts de survie et de développement »[8].
            Devant cette nouvelle réalité critique du monde de l’après guerre où on a vécu des catastrophes , guerre au Vietnam, famine, etc., il a fallu renforcer les efforts pour agir globalement et à travers des pays du monde afin de constituer une force de pression et influencer les politiciens et teneurs des charges publiques pour revenir sur leurs politiques. Ceci a donné naissance à « Oxfam canada », « Oxfam USA », Oxfam Australie », « Oxfam Chine » et enfin « Oxfam Québec ».
            L’opération « Biscuit de la survie » est l’une des campagnes de sensibilisation qui a été menée auprès de la communauté québécoise avec succès.. Le but était d’ouvrir une nouvelle fenêtre sur une Afrique pauvre dont les citoyens mourraient à cause de la famine (Éthiopie).
            Devant une autre problématique, celle relative à la situation de l’eau à l’échelle mondiale, « Oxfam Québec » a organisé le forum international de Montréal sous le thème de « SOS, l’eau c’est la vie » d’où l’essor de la charte de Montréal sur l’eau[9].
            Afin de multiplier beaucoup plus de réalisations contre la pauvreté et le combat contre les injustices et les inégalités dans les pays, il a fallu regrouper ensuite toutes les associations d’Oxfam du monde pour représenter une nouvelle force de pression capable d’influer les décideurs. Il en résulte  la naissance d’« Oxfam internationale » qui a servi d’outil de promotion des causes défendues dans différents pays.
            Aussi, nous ne pouvons pas négliger l’implication des jeunes dans le processus de lutte contre la pauvreté et les injustices qui règnent dans les sociétés. Ceci laisse entendre l’adoption d’une nouvelle stratégie de communication d’influence qui vise la lutte continue et dynamique contre le fléau de la pauvreté. « En juin 2000, le CLUB 2/3, organisme de coopération international reconnu pour son expertise et ses interventions auprès des jeunes, amorce un rapprochement institutionnel et devient une société affiliée à Oxfam-Québec. Avec l’intégration de cette division jeunesse, l’organisme crée un modèle de mobilisation intergénérationnelle, le cycle de vie, pour lutter de manière dynamique contre la pauvreté et l’injustice dans le monde, en faisant une place de choix aux jeunes acteurs de changements »[10].
            De tout cela, nous pouvons conclure qu’Oxfam Québec est une association qui, en fonction des changements que connaissent les sociétés du monde actuel dans les différents secteurs de la vie,  arrive à exercer son influence sur les teneurs des charges publiques par le biais des rencontres directes avec les citoyens et conférences avec d’autres partenaires, sans oublier son site web qui publie des communiqués et un certain nombre de rapports.
B- L’association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM)
            Privilégiant sa devise qui résume une volonté à se réunir pour défendre l’égalité et la dignité de la femme au Maroc, l’ADFM se donne la définition d’être un « organisme à but non lucratif, féministe et autonome »
            En effet, depuis sa création en juin 1985, l’ADFM a parcouru d’importantes étapes dans le processus de l’appel à l’égalité de la femme au Maroc. Un mouvement qu’on ne peut pas détacher de son contexte historique et sociopolitique.
            Le choix de siéger dans trois grandes villes au Maroc , Casablanca, Rabat et Marrakech, est très stratégique dans la mesure où il permettra de sensibiliser et mobiliser massivement une grande catégorie de femmes marocaines pour ainsi constituer une force de pression qui propose des lois susceptibles à donner plus de liberté aux femmes et à les impliquer plus largement dans tous les domaines de la gestion des affaires publiques.
            Par ailleurs, avec l’arrivée du nouveau Roi au pouvoir, nous avons assisté à la mise en pratique d’une nouvelle réforme du statut de la femme au Maroc. En effet, nombreux sont les autres ONG qui ont participé au côté de l’ADFM avec des stratégies de communication qui ont influencé les décideurs au pouvoir pour reconnaître la nécessité d’impliquer la femme dans  la vie active. Nous citons premièrement la pétition de l’UAF (Union de l’Action Féminine) qui a réussi à lancer sur la place publique, la question de la réforme de la Mudawana[11] et d’en récolter des résultats remarquables. Ceci bien entendu a agité la scène publique et a entraîné des débats houleux concernant » la Mudawana »ou code de la femme.  La politisation de cet enjeu a fait intervenir le palais en 1992 via un discours du Roi défunt Hassan II, autorité suprême et commandeur des croyants pour donner une nouvelle dimension au cours des choses : « j’ai entendu et écouté tes plaintes au sujet de la Mudawana (...). Sache ma chère fille, femme marocaine, que la Mudawana est d’abord une affaire qui relève de mon ressort (...). C’est une affaire qui relève du religieux ; non du politique donc de ses seules prérogatives (...)[12]
            Il est bien clair qu’à l’instar d’autres associations au Maroc qui partagent la même mission et défendent la même cause, l’ADFM a réussi à contribuer à la réforme des lois et politiques publiques[13]  :
            Effectivement, le code de la nationalité qui résumait un appel et une sensibilisation massive via des campagnes de plaidoyer en collaboration avec des associations des droits de l’homme pour  susciter le gouvernement marocain à « réviser par le gouvernent marocain, le code de la nationalité promulgué en 1958, qui privait les enfants des marocaines mariées à des étrangers de la nationalité de leurs mères »
            Une autre stratégie de vision propositionnelle auprès des groupes parlementaires a pu aboutir à la réforme d’un certain nombre de codes tels que : le code pénal, le code du travail et de l’état civil.
            L’égalité entre les femmes et les hommes dans le système éducatif a fait l’objet d’une autre action qui a permis de cerner la question de l’égalité entre les deux sexes dans  le système éducatif marocain. La stratégie adoptée donc était de revenir sur tous les programmes du ministère de l’éducation nationale pour que soient instaurer l’image de la femme et  le  respect mutuel entre ces sexes.
            Nous irons en outre jusqu’à constater que l’ADFM, s’est fixée comme objectif, de sensibiliser les décideurs au pouvoir sur la problématique de la scolarisation de la fille rurale. « Une étude bilan d’évaluation des actions menées par le MEN[14] et les autres organismes en matière de scolarisation dans les 7 provinces, a été la première étape dans la dynamique enclenchée pour la réalisation de ce projet. L’objectif de cette action est d’inciter les décideurs et les acteurs locaux nationaux et internationaux à renforcer le partenariat et la coordination en faveur de la mise en œuvre d’une stratégie nationale pour le développement de l’enseignement dans le milieu rural »[15].
            Commentaire                Différents donc sont les moyens et techniques de communication d’influence que les membres des associations ci-dessus exposées ont adoptés. Nous pouvons constater qu’elles ressemblent à celles de « Développement et Paix »[16] qui a fait l’objet de notre conférence en classe, et dont les membres ont toujours cherché à influencer soit directement ou indirectement les teneurs du pouvoir pour réformer les lois ou réorienter le cours dans la gestion des affaires publiques. Nous assistons ici à deux formes de pratiques qui sont respectivement le lobbying direct et le lobbying indirect.
            Le lobbying direct est pratiqué par le moyen de la communication orale. C'est-à-dire que,  la personne vise directement soit à rencontrer la personne dans son bureau ou à lui parler par téléphone ou par courrier.
            Le lobbying indirect par contre cherche à influencer par l’utilisation ou l’immobilisation de l’opinion publique afin qu’elle fasse pression sur les titulaires des charges publiques. Les moyens les plus utilisés ici sont par défaut les médias où les articles et les différentes informations publiées et qui appellent indirectement à prendre position de force et de pression face à des enjeux mis en débat public et qui méritent aussi un effectif pour obliger les décideurs à revenir sur des lois jugées inadmissibles.
            L’organisation de coalition est une autre forme de pratique lobbyiste. Elle consiste en  la coalition des organisations entre  elles pour constituer une force qui vise à influencer les lois qui menacent leurs intérêts communs.
            Si on revient sur les différentes stratégies et pratiques que l’ADFM a lancées dans le but d’influencer pour l’égalité entre la femme et l’homme dans la société marocaine, nous remarquons que l’association se présente comme un mouvement social. En effet, l’organisme rassemble des compétences féminines de différents lieux socioprofessionnels, capables de réussir ces pratiques lobbyistes.
            En conclusion nous pouvons dire que la nature de la communication d’influence reste inhérente à la mission de l’organisme lobbyiste et à la cause qu’il défend.






Bibliographie
- «Le lobbying : stratégies et techniques d’intervention» Patrick C. Robert, recueil de textes, p161
- « Pratiques novatrices en communication publique », Marc-François Bernier, Thierry Watine, François Demers, Charles Moumouni, Alain Lavigne, Octobre 2005
- « Encyclopaedia Universalis » en ligne
Sites web:


[1] Pratiques novatrices en communication publique. Journalisme, relations publiques et publicité, Marc-François Bernier, Thierry Watine, François Demers, Charles Moumouni, Alain Lavigne, Octobre 2005.

[2] Kenneth Ewart Boudling, Philosophe américain (Janvier 18, 1910 – Mars 1993)
[3] Edwin Baker (May 28, 1974 – Décembre 8, 2009), professeur de droit et de communication à l’université de Pennsylvania – Faculté de droit - USA)
[6] Ex.: Bombardement des deux villes d’Hiroshima et Nagasaki au Japon le 6 et 9 août 1945
[9] Apparue en juin 1990 juste après la rencontre de l’association Oxfam-Québec avec ses partenaires à travers le monde à Montréal, lors de la préparation pour la conférence internationale de New-Delhi de septembre 1990
[11] Code relatif à la réforme du statut de la femme au Maroc
[14] MEN : Ministère de l’éducation nationale
[16] « Développement et paix » : Organisme de solidarité internationale de l’Église catholique au Canada, http://www.devp.org/devpme/fr/aboutus/identity-fr.html

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