Principaux concepts de la théorie de Pierre Bourdieu appliqués au processus de nomination des juges au Québec
L’ŒUVRE DE PIERRE BOURDIEU
I - BIOGRAPHIE
Pierre Bourdieu est un sociologue français, considéré comme un des plus éminents représentants de la sociologie française. Né en 1930, dans les Pyrénées-Atlantiques d'un père fonctionnaire. Agrégé en philosophie, il enseignera par la suite dans plusieurs facultés en France et sera, en parallèle, directeur du centre de sociologie européenne et dirigera la revue « Actes de la recherche en sciences sociales (ARSS)»[1]
Les premières études de Pierre Bourdieu concernaient l'anthropologie, ce qui l'a influencé et a constitué une source de réflexion pour l'auteur, en s'enrichissant de ses principes tout en les critiquant. Cette réflexion l'amena à constater l'importance des systèmes de relations entre les différents individus et les différentes classes dans la compréhension des phénomènes sociaux qui régissent nos sociétés.
La théorie de Pierre Bourdieu et les différents concepts qui la caractérisent, s'appuie sur des travaux de recherches antérieurs, qui représentent des repères, notamment ceux des pères fondateurs de la sociologie: Marx, Weber et Durkheim dont il s'inspire pour établir ses démarches et ses concepts tout en essayant de les redéfinir allant même jusqu'à les dépasser.
Le parcours de P. Bourdieu est marqué par les multiples influences qu'il a subies. Son travail est le fruit d'une recherche critique de l'anthropologie et la sociologie traditionnelles. Ce désir de redéfinition et de dépassement a conduit à la naissance d'un nouveau courant qu'est le structuralisme génétique qui s'intéresse aux mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales.
II – LA SOCIÉTÉ DE BOURDIEU : ENTRE ESPACE ET CHAMPS
« The focus of Bourdieu’s sociology is uncovering the way in which the social world is structured, constitued, and reproduced through individual and collective struggle to conserve or transform the social world. »[2]. Cette citation résume en bref l’objectif de la sociologie de Bourdieu qui met l’accent sur la manière dont le monde social est structuré, constitué et reproduit par la lutte individuelle et collective pour conserver ou transformer la société.
P. Bourdieu analyse la société à travers le concept de domination qui est, selon lui, visible et palpable à travers les différentes stratégies que les agents sociaux mettent en place au sein des différents champs où ils agissent avec des statuts et des positions inégaux. Ainsi, Bourdieu étudie la différenciation sociale qui existe, en mettant en relief les inégalités entre les différents groupes sociaux. Il propose une approche, en terme, de champs sociaux et d'espace social qui se base sur des concepts et des outils qui à la fois permettent d'étudier la position et les relations des différents groupes sociaux et de comprendre comment se forme la reproduction de l'ordre social.
III – LES QUATRES CONCEPTS FONDAMENTAUX DE BOURDIEU
L'œuvre de P. Bourdieu est très riche, elle comporte une centaine d'articles et une trentaine de livres et s'articule autour de quatre concepts fondamentaux qui sont : L'habitus, le champ, l'espace social et la violence symbolique.
III. 1 : L’HABITUS
L'habitus, du latin " Habere" qui signifie "avoir", est un concept central de l'analyse de Bourdieu qui permet d'analyser le processus par lequel l'être humain devient un agent social.
Selon Bourdieu, L'habitus est donc l’ensemble de tous les automatismes acquis par l'individu au cours de son existence. Ils sont intériorisés et fonctionnent comme des principes inconscients d'action, de perception et de réflexion. C'est un système de disposition ouvert qui est sans cesse affronté à des expériences nouvelles qui l'affectent.
L'habitus est donc « la grille de lecture à travers laquelle nous percevons et jugeons la réalité […] et est à la base de ce qui définit la personnalité d'un individu »[3]. On peut dire que l'habitus est ce bagage que l'on porte inconsciemment en nous, résultat dominé par les acquisitions précoces, celles de notre enfance principalement dans le cadre familial, et qui constituent, selon Bourdieu, l'habitus primaire. C'est « un mécanisme d'intériorisation de l'extériorité »[4]. L'individu intériorise les propriétés liées à la position de ses parents dans l'espace social. Les dispositions acquises par les individus diffèrent selon les classes dans lesquelles ils évoluent.
P. Bourdieu soutient que l'habitus primaire conditionne les nouvelles acquisitions, que l'individu acquiert le long de son vécu et de ses expériences, et qu'il qualifie d'habitus secondaires. L'habitus scolaire revêt aussi une grande importance puisqu’il vient appuyer l'habitus familial. En fait, chaque nouvelle acquisition vient s’ajouter à l'ensemble existant pour en faire un seul habitus évolutif et qui s'ajuste et se restructure en fonction des situations nouvelles et inattendues ainsi de la trajectoire sociale de l'individu.
III. 2 : L’ÉSPACE SOCIAL
P. Bourdieu considère l'espace social comme une construction multidimensionnelle où se confrontent différentes classes et catégories sociales selon le volume et la structure du capital. Il est structuré selon une distribution inégale de ses capitaux.
L'expression d'"espace social" est délibérément utilisée pour marquer une rupture avec la représentation habituelle de la hiérarchie sociale qui positionne les différentes classes sociales uniquement en fonction de leurs conditions matérielles d'existence (leur capital matériel) ce qui est assez réducteur. Une autre faiblesse de cette approche est de ne pas définir la classe sociale par rapport à l'ensemble des classes existantes mais uniquement par rapport à elle-même, en l'isolant.
Par ailleurs, P. Bourdieu développe la notion d'espace social en insistant sur la dimension relationnelle entre les classes sociales et sur le fait que la position de chaque individu n'existe pas en soi mais seulement en faisant la comparaison de son capital avec les quantités de capital que possèdent les autres individus. Cela en fait un concept structuré par différentes formes de capital.
La notion de capital relève de l'approche économique et se traduit comme le résultat d'opérations d'investissement ou de biens transmis à travers l'héritage et Bourdieu en distingue quatre types: le capital économique, culturel, social et symbolique.
Le capital économique : Correspond à l'ensemble des biens et ressources d'une personne, ses revenus, ses biens matériels, son patrimoine.
Le capital culturel : Correspond à l'ensemble des compétences intellectuelles, qu'elles soient acquises par le système scolaire ou transmises par la famille. Il est représenté sous trois formes:
1 - À l'état incorporé comme étant une disposition du corps. Nous donnons comme exemple le fait d’être capable de s'exprimer avec une grande facilité devant un public.
2 - À l'état objectif comme étant un bien culturel (posséder des objets d'art de grande valeur)
3 - À l'état institutionnalisé, socialement reconnu par les institutions (diplômes scolaires).
Le capital social : C'est l'ensemble des relations sociales d'une personne, son réseau relationnel et social. Ce capital implique un travail continu de développement et d'entretien de ces relations (un travail de sociabilité).
Le capital symbolique : Correspond à l'autorité que détient une personne et qui résulte de la possession des trois autres formes de capital.
Parmi ces quatre types de capital, P. Bourdieu classe le capital économique et le capital culturel comme étant les plus pertinents et qui permettent d'établir des critères de différenciation dans la construction de l'hiérarchie sociale. D'une façon générale, P. Bourdieu estime qu'il existe un capital bien déterminé qui structure chaque champ social et y constitue un enjeu de luttes.
III. 3 : LE CHAMP
« Le champ social apparaît comme un espace conflictuel dans lequel les agents dominants visent à reproduire leur domination »[5]
Afin de mieux comprendre ce que P. Bourdieu signifie par un champ et ce qui le caractérise, Bonnewitz présente un exemple analogique qui est celui du marché. « Un champ peut se concevoir comme un marché avec des producteurs et des consommateurs de biens. Les producteurs, individus dotés de capitaux spécifiques, s'affrontent. L'enjeu de ces luttes est l'accumulation de la forme de capital qui permet d'assurer la domination du champ»[6]. Dans cet exemple, le capital représente un moyen et une fin à atteindre, d'où la notion de champ où se confrontent des forces opposées.
Chaque champ regroupe des agents ayant un habitus identique et dont leur position dans le champ est dépendante de leur position dans l'espace social. Par conséquent, on retrouve une certaine similitude fonctionnelle et structurelle entre le champ, qu'il soit politique, religieux, littéraire ou autre et la structure de l'espace social. Dans chacun d'eux il est question d'agents dominants et dominés, de luttes qui y règnent et de reproduction de l'ordre social.
Dans ce contexte, P. Bourdieu a étudié le champ des dirigeants de grandes entreprises où les chefs des grandes sociétés industrielles, issus pour la plus part de familles de hauts fonctionnaires ou de professions libérales, ont généralement tous eu un parcours similaire avant d'atteindre la position qu'ils occupent et qui est principalement due à leur capital social élevé et leur capital scolaire provenant des grandes écoles: leur capital est plus culturel. Contrairement aux chefs d'entreprises privées, issus de la petite ou la grande bourgeoisie qui ont toujours été dans le secteur privé, qui ont entrepris des études assez courtes, ceux-là ont un capital davantage économique.
III. 4 : LA VIOLENCE SYMBOLIQUE
Selon Bourdieu, "La violence symbolique est […] cette forme de violence qui s'exerce sur un agent social avec sa complicité".[7] C'est la capacité à imposer des rapports de domination, qui ne sont même pas perçus comme tel, à des agents sociaux dominés.
Elle s'exerce donc, avec la complicité tacite de ceux qui la subissent et de ceux qui l'exercent dans la mesure où les uns et les autres sont inconscients de subir cette violence.
Bourdieu explique que" le dominé perçoit le dominant à travers des catégories que la relation de domination a produites et qui de ce fait sont conformes aux intérêts du dominant."[8]
LA COMMISSION BASTARACHE
INTRODUCTION
« Les tribunaux jouent un rôle fondamental dans l’équilibre démocratique de notre société. Ils sont totalement indépendants du pouvoir politique aussi bien que du gouvernement. Leur fonction essentielle est d’assurer le respect des lois auxquelles tous sont assujettis de manière efficace et impartiale. Le processus de nomination des juges revêt donc une grande importance. »[9].
I - UNE AFFAIRE PUBLIQUE
Suite aux allégations de maître Marc Bellemare, ancien ministre de la Justice au Québec et qui a assuré qu'il existe une certaine forme de corruption et d'influence lors de la nomination des juges de la Cour du Québec, une commission appelée « commission Bastarache»[10] a été mise en place le 14 avril 2010 à la demande du premier ministre du Québec Jean Charest.
Il s’agit bel et bien d’un enjeu de communication politique car il émerge d’un problème dont l’objet est la communication publique. C’est un enjeu public parce que d’abord il a été créé dans la sphère politique et ensuite transféré sur la scène publique à travers les médias qui avaient comme but principal de stimuler un débat et inviter l’opinion publique comme nouvel acteur à y participer. Les deux axes nécessaires qui feront l’objet de l’enquête souhaitée seront d’une part la vérification d’un éventuel trafic d’influence dans le processus de nomination des juges, et d’autre part l’examen minutieux du même processus afin d’apporter des solutions et des suggestions aux lois qui réglementent ce processus. Maître Michel Bastarache affirme que les résultats obtenus ne seront que des conseils au gouvernement. Il dit : «Il m'incombe, en l'espèce, de vérifier s'il existe ou non un problème systémique d'intervention de tiers quant aux nominations à la Cour du Québec. Pour garantir la confiance du public en notre système judiciaire, on doit faire la lumière sur les inférences que l'on peut tirer des allégations de Me Bellemare»[11]. La présence dans les médias est justifiée par de nombreux articles que nous avons consultés sur des quotidiens tels que le « Devoir », « La Presse » et « le Soleil », ainsi qu’à travers des émissions télévisées comme « Tout le monde en parle », « TVE », et autres.
II - TERRITOIRES DE L’ENJEU
Les territoires constituent un lieu géographique et politiquement spécifique où l’enjeu se déroule. Ce sont les espaces de délibérations.
Généralement, les territoires sont les espaces où l’enjeu prend place. Il peut y avoir des références spatiales, culturelles ou corporatives. Selon Philippe Bouquillion[12] & Isabelle Pailliart[13], la notion d’aménagement du territoire est indissociable de la constitution de l’État. Ils affirment que « (…) les grandes étapes qui marquent la place de l’État ainsi que la progressive montée en puissance des collectivités territoriales vont également transformer la conception de l’aménagement territoriale »[14].
Toutefois, nous pouvons définir les territoires principaux de l’enjeu selon trois types de références :
Ø D’abord, selon la référence spatiale, ce sont la province du Québec, la Cour du Québec et les médias qui demeurent les territoires où l’enjeu prend place.
Ø Ensuite, selon la référence culturelle, c’est plutôt la collectivité, le politique, le judiciaire et le médiatique qui se présentent comme les territoires concernés.
Ø Enfin, selon la référence corporative, c’est le système politique et judiciaire du Québec qui est mis en jeu.
III - DIFFÉRENTS ACTEURS
Quand on parle d’un acteur, nous nous référons, selon Claude Bélanger[15] & Jacques Lemieux[16] « […] à une personne abstraite qui est saisie en situation de faire une action ou de la subir »[17]. L’acteur peut être donc un individu ou un groupe, autrement dit un acteur individuel ou un acteur collectif.
À rappeler que qans le cas de la commission Bastarache, douze personnes ou organisations ont, au début de l’enjeu, demandé le statut de participant ou d'intervenant à cette enquête publique. Mais jusqu’à nos jours seulement cinq ont été acceptés par la Commission d’enquête sur le processus de nomination de juges. Nous citons le premier ministre Jean Charest, la Conférence des juges, le Tribunal administratif du Québec, le Barreau de Québec et le Parti libéral du Québec
Parmi les demandeurs, nous trouvons d’une part des acteurs individuels principaux tels que maître Marc Bellemare contre le premier ministre Jean Charest et d’autres que nous jugeons secondaires tels que Charles Rondeau et Franco Fava, « deux collecteurs de fonds » [du parti libéral] « que M. Bellemare accuse d’avoir exercé sur lui des «pressions colossales» pour l’inciter à nommer des sympathisants libéraux à des postes de juge »[18]. Et d’autre part, des acteurs collectifs ou des organisations comme le PLQ, le tribunal administratif du Québec, etc.
Il est clair que c’est l’État ou le gouvernement provincial du Québec qui a le pouvoir d’adopter des lois et des politiques publiques. Nominer ainsi les juges de la Cour du Québec, des cours municipales et des membres du Tribunal administratif du Québec est à la fois une responsabilité et une tâche déléguée par le même pouvoir au ministre de la Justice.
¨ II. 1 : ACTEURS INDIVIDUELS PRINCIPAUX
II. 1. 1 : Marc BELLEMARE
En position d’attaque, Marc Bellemare est, quant à lui, le deuxième acteur principal de l’enjeu. Il a été élu député du Parti libéral du Québec dans Vanier en 2003. Il a exercé en tant que ministre de la justice, procureur général et ministre responsable de l'application des lois professionnelles dans le gouvernement Jean Charest entre 2003 et 2004. À noter aussi qu’il était à la tête du Parti Vision Québec de 2005 à 2007 sans oublier qu’il s’est présenté sans succès à la mairie de Québec aux élections de 2005 - 2007.
II. 1.2 : Jean CHAREST
En position de défense, le premier ministre Jean Charest est d’une part le premier acteur principal de l’enjeu et d’autre part l’agent du pouvoir. Il a été vice-premier ministre du Canada du 25 juin 1993 au 03 novembre 1993, puis chef du parti progressiste-conservateur fédéral de 1993 à 1998. Il s'est fait connaître au Québec comme vice-président du comité du « non »[19] lors du référendum québécois de 1995. Il dirige le Parti libéral du Québec depuis 1998 et occupe la fonction de premier ministre du Québec depuis l’arrivée au pouvoir de son parti en 2003.
¨ II. 2 : ACTEURS INDIVIDUELS SECONDAIRES
Ce sont les juges qui ont été nominés dans la période d’analyse de la Commission Bastarache, ainsi que Charles Rondeau, un collecteur de fonds du Parti Libéral Québécois et Franco Fava, l’argentier du même parti. Certains ex-ministres de la justice ainsi que des témoins tels que certains fonctionnaires publics, sont aussi témoigné devant la commission,
¨ II. 3 : ACTEURS COLLECTIFS
II. 3. 1 : Les médias
Les médias ont joué un rôle important tout le long du présent enjeu de la Commission Bastarache. C’est à la fois le territoire qui a produit les événements ayant décroché des discutions sur la nomination de juges au Québec, et l’acteur qu’on a jugé capable d’influencer et de persuader l’opinion publique.
La raison de l’utilisation des médias définit une situation commune dans la politique et que Manuel Castells explique en disant : « (…) pour agir sur les esprits, et les volontés, les options politiques opposées qu’incarnent les partis et les candidats utilisent les médias comme vecteurs fondamentaux de communication, d’influence et de persuasion. Du moment que les médias sont relativement autonomes du pouvoir politique, ces acteurs sont contraints de se plier à leurs règles, à leurs technologies et à leurs intérêts. Les médias « cadrent » la politique. »[20]
L’enjeu est diffusé par les médias qui amplifient le nombre de personnes qui participent dans le débat autour de la commission Bastarache. Cette dynamique fait des médias un “instrument optimal d’une diffusion globale, donc un facteur d’intégration dans la sphère publique et de démocratisation de la vie politique»[21].
Dans son livre « Le pouvoir de l’identité » qui «s'intéresse et cible plus les mouvements sociaux et la politique tels qu'ils résultent de l'interaction entre la mondialisation (qu'impulse la technologie), le pouvoir de l'identité (sexuelle, religieuse, nationale, éthique territoriale, sociologique) et l'Etat (avec ses institutions) »[22] Castells utilise le terme « la politique informationnelle en pratique : l’arme du scandale »[23] pour traiter de situations qu’englobe la corruption politique dans les médias. Il ajoute : « Une fois la politique attirée dans l’espace médiatique, ses acteurs eux-mêmes l’y enferment en structurant leurs initiatives essentiellement autour des médias. Ils organisent par exemple des « fuites », pour faire avancer certains projets personnels ou politiques. Elles conduisent inévitablement à des « contre-fuites », et les médias se voient ainsi transformés en champs de bataille où forces politiques, personnalités et groupes de pression s’efforcent de se discréditer mutuellement pour en recueillir les bénéficies dans les sondages, les urnes, les votes parlementaires et les décisions gouvernementales. »[24]
II. 3.2 : Le Parti Libéral Québécois (PLQ)
Le Parti libéral québécois est un acteur collectif puisqu’il a des intérêts particuliers dans la situation. Il est au cœur de l’enjeu après les allégations de Marc Bellemare sur le trafic d’influence sur le processus de nomination des juges.
¨ IV - FORMES DISCURSIVES
Étant donné que la Commission Bastarache est rendue publique, il est évident que la forme discursive principale qui règnera sur la scène publique, sera par excellence, la communication médiatique.
IV. 1: Communication politique
En plus de la communication médiatique, nous remarquons également la présence de la communication politique puisque les principaux acteurs ou protagonistes sont des politiciens qui adoptent ce type de communication pour mettre l’accent sur la question de l'indépendance de la justice au Québec. L’intérêt de l’acteur au pouvoir est bien entendu de protéger l’image de son gouvernement tout en essayant de gérer l’actuelle situation de crise avec des stratégies de communication institutionnelles dont la Commission Bastarache déclarée par le premier ministre.
IV. 2: Communication médiatique
De tous les articles que nous avons consultés et analysés, nous avons remarqué plusieurs formes discursives utilisés par les différents acteurs de l’enjeu. Les articles auxquels on avait recours utilisent le type de discours relié à la communication médiatique en vue d’illustrer ce qui se passe à l'intérieur de la Commission. Les médias sont vus donc comme étant un outil essentiel dans l’enjeu, puisque tous les principaux acteurs parlent en toute liberté dans et aux différents médias, que ce soit à la télévision ou dans les journaux. L’apparition de Marc Bellemare dans l’émission « Tout le monde en parle » diffusée sur Radio Canada appuie notre idée. De plus, nous pouvons apprendre en tant que membres de l’acteur social, beaucoup de détails abordés par la Commission Bastarache et qui orientent l’opinion publique. À citer à titre d’exemple le fait que l'agenda de Marc Bellemare a été retrouvé ce qui prouve que ce dernier avait bien rendez-vous le même soir avec le premier ministre et un comité de direction.
COMMENTAIRE CRITIQUE ET CONCLUSION
D’après l’analyse de l’enjeu de la commission d’enquête Bastarache comme étant une affaire qui a marqué la scène publique à la fois par la force de l’acteur médiatique et celle de l’acteur politique, nous avons constaté qu’il existe deux types de liens avec la théorie de Pierre Bourdieu : Le champ et la violence symbolique.
Un survol d’un nombre d’articles de différents quotidiens et des publi-reportages, nous a permis de dégager ce qui suit :
D’abord, le lien avec le concept du champ chez Bourdieu : Le champ politique dans notre cas d’étude et où l’enjeu a pris place, est cette sphère ambigüe où l’acteur dominant représenté par le premier ministre vise à reproduire sa domination sur les dominés et qui sont les autres membres au sein du PLQ.
Ensuite, le lien avec le concept de la violence symbolique apparait du fait que l’acteur individuel principal qu’est Jean Charest se voit exercer une certaine influence sur les acteurs principaux membres du PLQ qui subissent cette influence et la perçoivent comme étant une pratique légitime, sans réagir du fait qu’ils appartiennent au même parti. De son côté, le premier ministre et son parti libéral se trouvent obligés d’utiliser des stratégies de communication institutionnelle pour éviter le feu des médias et protéger les intérêts du parti, ce qui fait que l’adoption de la vision du chef est légitime par la force des intérêts et de l’appartenance au même parti.
Du côté de monsieur Marc Bellemare, la défense des intérêts personnelles se reproduit sous une autre forme. Nous apprenons qu’il s’est présenté une fois à la mairie de la ville de Québec sans succès, ce qui révèle une volonté de bâtir une carrière politique nouvelle. Le financement de sa campagne qu’il a commencé trois mois à l’avance, l’avait jeté au feu des médias qui l’ont accusé d’avoir utiliser des « enveloppes brunes ». Afin de s’éloigner des critiques des médias et de tout ce qui peut toucher à ses projets de carrière, nous pouvons dire que son apparition en position d’attaque dans notre enjeu est simplement pour détourner l’attention accordée à la manière par laquelle il a financé sa campagne électorale pour la mairie de Québec. Le seul but est donc pour gagner la sympathie du grand public et redorer son image à des fins futures.
L'enjeu que nous venons d’analyser est bien entendu un enjeu public parce qu’il présente une situation qui caractérise des controverses entre les différents acteurs dans des différentes arènes publiques (arène politique, arène médiatique et arène de la rue). De plus, le trafic d’influence dans le processus de la nomination des juges, dénoncé par Marc Bellemare, a été présenté à l’opinion publique par l’intermédiaire des médias. Cette médiatisation a attiré l’attention du public et c’est ce qui a rendu l’enjeu en question une affaire publique. « (…) la présence d’un thème dans la presse constitue en règle général un élément d’objectivation destiné à attester de la visibilité sociale d’un enjeu, non le point de départ d’une réflexion sur la contribution spécifique des médias à l’émergence des problèmes publics»[25].
Par ailleurs, la théorie de P. Bourdieu a reçu de multiples critiques. Oyvind Ihlen dans « Public Relations and Social Theory, Key Figures and Concepts », critique notamment le concept d’Habitus et le rôle que P. Bourdieu lui accorde. Ce dernier rend l’individu passif alors qu’Ilhen Oyvind estime que chaque être est capable de prendre une décision en toute conscience et après réflexion.
Par rapport aux relations publiques, Ilhen rejette l’hypothèse du rôle du concept d’Habitus. En analysant le contexte des relations publiques, l’enjeu est justement autour des acteurs et leurs stratégies conscientes et intentionnelles pour influencer les pensées et les décisions dans le sens de leurs intérêts. Ce qui apparait pour certains analystes, come une certaine stratégie de relations publiques bien structurée, pour P. Bourdieu, ça ne serait que le résultat de la chance et d’une délibération inconsciente.
BIBLIOGRAPHIE
¨ Oyvind Ilhen, Betteke Van Ruler, Magnus Fredriksson, 2009 : Public Relations and Social Theory, Key Figures and Concepts, Éd: Routledge.
¨ Bonnewitz, Patrice, 2002 : La sociologie de P. Bourdieu, presses universitaires de France
¨ Bourdieu, Pierre, 2000 : Propos sur le champ politique, presses universitaires de Lyon, France
¨ Champagne, Patrick (2008), Pierre Bourdieu, Les essentiels Milan
Bélanger, André, Lemieux, Vincent, 2001, Introduction à l’analyse des politiques, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
¨ Bouquillion & Pailliart, 2003 : Les Études de communication – Développement des territoires et communication : politiques et pratiques à l’œuvre
¨ Castells, Manuel. 1999. Le pouvoir de l’identité. L’ère de l’information. Paris, Fayard.
¨ Neveu, Erik, 1999, L’approche constructiviste des « problèmes publics » un aperçu des travaux anglo-saxons, Etudes de la communication, n°22, Lille3, Université Charles De Gaulle
¨ Théorêt, Yves (2006), La communication politique, Pierre Mongeau et Johanne Saint-Charles (dir.), Communication. Horizons de pratiques et de recherche, chap3, Sainte-Foy, Presses de l'Université de Québec
OUVRAGES CONSULTÉS
¨ Lahire, Bernard, 2001 : Le travail sociologique de Pierre Bourdieu : dettes et critiques, Paris, Éd. la Découverte
¨ Martín Criado, Enrique, 2008 : Les deux Algéries de Pierre Bourdieu, Bellecombe-en-Bauges (Savoie), Éd. du Croquant
¨ Bourdieu, Pierre, 2004 : Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Éd. Raisons d'agir
¨ Bourdieu, Pierre, 2001 : Langage et pouvoir symbolique, Paris, Éd. Fayard
¨ Cefaî, Daniel, 1996, La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques, Réseaux, no : 75
¨ Charron, Jean (1998), Les médias font-ils l'opinion? Philippe Cabon (dir.), La communication. État des savoirs Paris, Éditions Sciences humaines
¨ Coman, Mihai, 2003, Un espace public symbolique, Pour une anthropologie des médias, Grenoble, PUG
SITES WEB CONSULTÉS
[1] Pierre Bourdieu, 2002: Premières leçons sur la sociologie de P. Bourdieu par Patrice Bonnewitz, p: 5
[2] Oyvind Ihlen, 2009, Public Relations and Social Theory, Key Figures and Concepts, On Bourdieu: Public Relations in Field Struggles, p: 63
[3] Pierre Bourdieu, 2002: Premières leçons sur la sociologie de P. Bourdieu par Patrice Bonnewitz, p: 63
[4] Idem, p : 64
[5] Pierre Bourdieu, 2002: Premières leçons sur la sociologie de P. Bourdieu par Patrice Bonnewitz, p: 34
[6] Pierre Bourdieu, 2002: Premières leçons sur la sociologie de P. Bourdieu par Patrice Bonnewitz, p: 49
[7] Pierre Bourdieu, 1987 : Choses dites, p: 159
[8] Patrick Champagne, 2008 : Pierre Bourdieu, p : 57
[10] Michel Batarache, ancien juge de la cour suprême du Canada entre 1997 et 2008, commissaire désigné par Jean Charest (1er ministre du Québec) pour mener l’enquête sur l’enjeu en question.
[11]Radio Canada, 15 juin 2010, Commission Bastarache, Le début des travaux sur : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/06/14/001-bastarache_debut.shtml
[12] Philippe Bouquillon, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8, France
[13] Isabelle Pailliart, Professeure en sciences de la communication à l'Université Stendhal Grenoble 3, France
[14] Philippe Bouquillon et Isabelle Pailliart, 2003 : les Études de communication – Développement des territoires et communication : politiques et pratiques à l’œuvre, p : 84 - 85
[15] Claude Bélanger, professeur au département de psychologie à l’UQAM
[16] Jacques Lemieux, professeur associé, département d’information et de communication, Université Laval
[17] Claude Bélanger & Jacques Lemieux, 1993, p: 31
[18] Mathieu Boivin, 21 septembre 2010, Rue frontenac, article : Commission Bastarache – Charles Rondeau a intercédé auprès de Bellemare pour son ami Michel Simar, Nouvelles générales - Politique provinciale, sur http://ruefrontenac.com/nouvelles-generales/politiqueprovinciale/27967-commission-bastarache-charles-rondeau
[19] Référendum de 1995 au Québec dont le but était d’inviter les québécois à se prononcer pour la deuxième fois sur la souveraineté au Québec, sur : Radio Canada : http://archives.radio-canada.ca/politique/provincial_territorial/dossiers/1796-12188/
[20] Castells, Manuel, 1997 : Le pouvoir de l’Identité, l’ère de l’information, p : 378, Pris, Fayard
[21] Coman, Mihai, 2003 : Un espace publique symbolique, Pour une anthropologie des médias, Grenoble PUG p : 172 - 173
[22] Résumé de la fiche de lecture du Livre, consulté sur : http://www.oboulo.com/manuel-castells-pouvoir-identite-7829.html le 12 décembre 2010
[23] Castells, Manuel, 1997 : Le pouvoir de l’Identité, l’ère de l’information, p : 401
[24] Idem, p : 381
[25] Neveu, Erik, 1999 : L’approche constructive « des problèmes publics » un aperçu des travaux anglo-saxons, Études de la communication, numéro : 22, Lille 3, Université Charles de Gaulle, p : 46
Commentaires
Enregistrer un commentaire